Présence de micro-plastiques dans le système digestif de la sole et de l’éperlan dans la Tamise
La Tamise, l’une des grandes rivières d’Europe, traverse Londres et ses environs avant de se déverser dans la mer du Nord. Son importance économique, historique et écologique est indéniable. Cependant, cette rivière emblématique porte aussi les cicatrices de la modernité urbaine : une contamination microplastique intense qui affecte ses communautés ichthyologiques. La sole et l’éperlan, deux espèces de poissons autrefois abondantes et commercialement importantes dans la Tamise, portent aujourd’hui des traces indélébiles de cette pollution.
Les études révèlent que la Tamise rejette environ 94 000 microplastiques chaque seconde dans l’estuaire. Cette pollution provient directement des activités humaines dans le bassin de drainage urbain et des systèmes d’assainissement de Londres. L’impact direct sur les poissons qui habitent ou traversent ces eaux devient rapidement évident lors de l’examen de leur contenu digestif. La présence de microplastiques dans la sole et l’éperlan symbolise la dégradation des rivières urbaines et ses conséquences en cascade sur la biodiversité.
Sources de contamination microplastique dans la Tamise
La Tamise urbaine reçoit une multitude de sources de microplastiques. Les eaux pluviales ruisselant sur les surfaces urbaines transportent des particules de pneus usés, des fibres textiles provenant du lavage des vêtements, et des micro-billes de cosmétiques. Les systèmes d’assainissement, conçus pour traiter les eaux usées, ne disposent pas de filtres efficaces pour retenir les microplastiques, qui s’échappent donc directement vers les eaux fluviales.
Les dégradations de macrodébris constituent une autre source significative. Les sacs plastiques, les emballages alimentaires, les bouteilles et autres débris solides qui finissent dans la Tamise se fragmentent progressivement en microplastiques. Les zones de turbulence, les débris immergés, et les structures portuaires catalysent cette fragmentation. Une fois générés, ces microplastiques demeurent en suspension ou sédimentent, restant bioaccessibles pour la faune aquatique.
Impact sur la sole et l’éperlan
La sole, poisson plat benthique, se nourrit principalement de petits invertébrés vivant ou se déplaçant sur les fonds sédimentaires. En fouillant les sédiments du lit de la Tamise, la sole ingère inévitablement les microplastiques qui s’y accumulent. De même, l’éperlan, petit poisson planctonivore et démersale, filtre l’eau pour se nourrir de zooplancton, ingérant ainsi les microplastiques en suspension.
Les analyses du contenu stomacal révèlent que plus de 80 % des soles capturées dans certains secteurs de la Tamise contiennent des microplastiques. L’éperlan, dont l’alimentation filtrante le rend encore plus exposé, montre des taux de contamination similaires ou supérieurs. Les types de microplastiques trouvés varient : fibres synthétiques, fragments de polyéthylène, polypropylène, et paillettes plastiques témoignent de la diversité des sources.
Implications pour la santé des populations ichthyologiques
La présence de microplastiques dans le système digestif de la sole et de l’éperlan affecte directement leur santé et leur viabilité. Les microplastiques peuvent causer une obstruction du tube digestif, réduisant la capacité d’absorption des nutriments. Les soles et éperlans contaminés présentent des signes de malnutrition relative, même lorsqu’ils consomment suffisamment de nourriture, car celle-ci ne peut pas être correctement assimilée.
L’inflammation du tube digestif est un effet documenté. Les poissons cherchent à dégager les particules plastiques de leur système, dépensant une énergie importante sans bénéfice nutritif. Sur le long terme, cette dépense énergétique affecte leur croissance, leur reproduction, et leur capacité à échapper aux prédateurs. Les juvéniles, particulièrement vulnérables, présentent des taux de mortalité augmentés et une croissance réduite.
Transfert des microplastiques et de leurs contaminants dans la chaîne alimentaire
La contamination de la sole et de l’éperlan ne reste pas confinée à ces espèces. Ces poissons constituent des sources de nourriture pour des prédateurs plus grands : les phoques de la Tamise, les aigles pêcheurs, les grands carnassiers piscivores. Le transfert des microplastiques vers les niveaux trophiques supérieurs crée une bioaccumulation progressive. Les contaminants chimiques adsorbés par les microplastiques se transfèrent également, augmentant les charges toxiques chez les prédateurs.
Pour les humains consommant ces poissons, la présence de microplastiques pose également question. Bien que les soles et éperlans de la Tamise ne constituent plus une ressource alimentaire importante comme autrefois, les préoccupations sanitaires soulèvent la question de la sécurité des autres poissons consommables issus de rivières urbaines contaminées.
Restauration de la qualité de l’eau et réduction de la pollution
L’amélioration de la qualité de la Tamise face à cette menace microplastique nécessite une approche multifacette. Les infrastructures d’assainissement doivent être modernisées pour inclure des étapes de filtration microplastique avancées. Les systèmes de gestion des eaux pluviales doivent être rédessinés pour capter les microplastiques avant qu’ils ne rejoignent la rivière.
Au-delà de la filtration, une prévention à la source s’impose. La réduction de l’utilisation des plastiques à usage unique dans le bassin de drainage de la Tamise contribuerait significativement. Les campagnes de sensibilisation aux impacts de la micro-pollution pourraient modifier les comportements des consommateurs et des industries. La transition vers des alternatives biodégradables ou durables pour les produits cosmétiques, textiles, et de consommation courante réduirait progressivement la charge de microplastiques rejetée.
Établissement de zones de protection ichthyologique
Pour protéger les populations résiduelles de sole et d’éperlan, certains experts recommandent la création de zones de refuge avec une réduction active de la contamination microplastique. Ces zones pourraient servir de réservoirs génétiques et de sites de reproduction moins contaminés, permettant une certaine reconstitution des populations. Parallèlement, des actions visant à réduire la fragmentation et la génération de microplastiques en amont améliorerait progressivement la qualité de tout le système fluvial.
Conclusion
La Tamise, rivière symbole de la puissance industrielle britannique, porte aujourd’hui le fardeau de cette puissance sous la forme d’une saturation microplastique. La sole et l’éperlan, autrefois pêchés commercialement, deviennent progressivement des canaris dans la mine, signalant l’état critique de la santé écologique fluviale. Cette contamination n’est pas un problème isolé à la Tamise ; elle affecte tous les grands cours d’eau urbains mondialement. La restauration des rivières urbaines face à la pollution microplastique exige des mesures urgentes visant à la source : prévention de la génération de microplastiques et amélioration drastique des infrastructures d’assainissement. Seule cette approche systémique permettra à la Tamise et à ses peuplements ichthyologiques de se rétablir.