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Utilisation de filets dérivants biodégradables pour réduire la pêche fantôme : propriété physique et performance de pêche

La pêche fantôme représente l’une des formes les plus insidieuses de destruction marine causée par l’industrie halieutique. Chaque année, environ 640 000 tonnes de filets de pêche synthétiques non biodégradables sont perdus, abandonnés ou jetés délibérément en mer. Ces filets, composés principalement de nylon et d’autres polymères durables, continuent de capturer, blesser et tuer la faune marine durant des décennies, bien après la fin de leur utilisation intentionnelle. Face à cette tragédie écologique persistante, les chercheurs et les industries halieutiques explorent des solutions basées sur des matériaux biodégradables capables de se dégrader dans l’environnement marin.

Les filets dérivants biodégradables représentent une innovation technologique majeure dans la lutte contre la pêche fantôme. Ces filets sont fabriqués à partir de polymères biodégradables qui se fragmentent et se décomposent progressivement lorsqu’ils sont exposés aux conditions marines. Cependant, l’adoption de cette technologie ne peut pas simplement substituer des filets biodégradables aux filets synthétiques sans évaluer rigoureusement leur efficacité de pêche et leurs propriétés physiques. Les pêcheurs ont besoin de filets qui maintiennent les performances de capture tout en offrant le bénéfice environnemental de la biodégradabilité.

Composition et propriétés des polymères biodégradables

Les filets biodégradables développés par les chercheurs utilisent principalement un mélange de polymères : 82 % de succinate de polybutylène (PBS) combiné à 18 % de polybutylène adipate-co-téréphtalate (PBAT). Ce mélange a été sélectionné pour offrir un équilibre entre résistance mécanique et dégradation biologique. Le PBS offre une bonne rigidité et durabilité initiale, tandis que le PBAT améliore la flexibilité et la biodégradabilité.

Ces matériaux possèdent des propriétés thermiques permettant leur traitement en filaments et tissus similaires à ceux du nylon conventionnel. Contrairement aux matériaux biodégradables anciens qui se dégradaient trop rapidement pour être praticables à la pêche, ces nouveaux polymères maintiennent une intégrité structurelle suffisante pour les durées typiques de déploiement des filets de pêche, tout en se dégradant relativement rapidement une fois abandonnés en mer.

Propriétés physiques et mécaniques des filets biodégradables

Les études comparatives révèlent des différences importantes entre les monofilaments biodégradables et les filets de nylon conventionnel. Le monofilament biodégradable présente une rigidité environ 1,5 fois supérieure au nylon lorsqu’il est mouillé. Cette rigidité accrue crée une structure de filet moins flexible et potentiellement moins efficace pour piéger certaines espèces. Le nylon conventionnel, par sa flexibilité naturelle, se conforme mieux à la forme des poissons et permet un enmaillage plus efficace.

La résistance à la traction du monofilament biodégradable demeure comparable au nylon pour des diamètres similaires, satisfaisant les exigences de durabilité durant les opérations de pêche. Cependant, la fatigue mécanique et la flexion répétée peuvent compromettre plus rapidement les filets biodégradables, notamment lors du déploiement et du relevage répétés. Cette fragilité relative constitue un défi pour l’adoption commerciale.

Performances de pêche comparées

Les essais de pêche comparatifs ont été menés sur diverses espèces cibles, notamment le Corbeau Jaune (Pagrus auratus). Les résultats révèlent que les filets biodégradables et les filets de nylon conventionnel atteignent des taux de capture similaires pour cette espèce démersale. Cette équivalence de performance est encourageante et suggère que la biodégradabilité ne signifie pas une réduction catastrophique de l’efficacité commerciale.

Cependant, les variations de performance selon les espèces demeurent insuffisamment documentées. Les espèces plus rapides ou dont l’anatomie présente des formes arrondies peuvent bénéficier de la meilleure déformabilité du nylon. Les essais limités suggèrent que des ajustements de conception du filet biodégradable, notamment une augmentation du diamètre du monofilament pour compenser la rigidité accrue, pourraient optimiser les performances.

Dégradation biologique et évolution temporelle

Une caractéristique cruciale des filets biodégradables est leur chronologie de dégradation. Les études montrent que le monofilament biodégradable commence à se dégrader visiblement après environ 24 mois d’exposition à l’eau de mer. Cette dégradation progressive signifie qu’un filet biodégradable abandonné continuera à capturer la faune marine pendant au moins les deux premières années, une période considérable mais inférieure aux siècles de dégradation du nylon synthétique.

La dégradation est accélérée par l’action de microorganismes marins qui colonisent progressivement la surface du polymère. L’exposition au rayonnement ultraviolet en zones côtières superficielles, les chocs mécaniques contre les rochers et le corail, et les variations de température favorisent également la fragmentation. Dans les profondeurs océaniques où les conditions sont plus stables, la dégradation est considérablement plus lente.

Aspects réglementaires et adoption commerciale

L’adoption à grande échelle des filets biodégradables dépend de plusieurs facteurs au-delà de la performance technique. Les réglementations nationales et internationales doivent encourager ou mandater cette transition. Le projet INdiGO vise à réduire la pollution plastique océanique de 3 % d’ici 2030 en déployant massivement des filets biodégradables, démontrant ainsi le potentiel politique et commercial de cette approche.

Les défis économiques restent significatifs. Le coût de production des polymères biodégradables reste actuellement supérieur au nylon conventionnel, rendant les filets biodégradables plus coûteux pour les pêcheurs. Des subventions gouvernementales ou des mécanismes de compensation financière pourraient faciliter la transition. De plus, la durabilité réduite implique un remplacement plus fréquent des filets, augmentant les coûts opérationnels.

Recommandations pour amélioration et déploiement

Les recherches futures doivent se concentrer sur l’optimisation des formulations polymères pour améliorer la flexibilité sans sacrifier la résistance. Les tests sur davantage d’espèces cibles contribueraient à affiner la conception des filets. Les études à long terme sur la dégradation en différents environnements marins fourniront des données essentielles pour prédire le comportement réel des filets abandonnés.

L’intégration de systèmes de détection dans les filets biodégradables pourrait contribuer à leur récupération avant qu’ils ne se perdent complètement, réduisant les impacts de la pêche fantôme même avec des filets synthétiques. Les filets biodégradables ne constituent pas une panacée ; ils doivent être accompagnés de mesures visant à réduire la perte de filets par des pratiques de gestion améliorées et une application stricte des réglementations.

Conclusion

Les filets dérivants biodégradables représentent une avancée technologique prometteuse dans la lutte contre la pêche fantôme. Bien que leurs propriétés physiques différentes du nylon conventionnel posent des défis de performance, les résultats des essais initiales démontrent une viabilité commerciale potentielle. La transition vers ces matériaux biodégradables exigerait cependant un investissement conséquent en recherche, en régulation, et en soutien économique.

L’efficacité réelle des filets biodégradables ne réside pas simplement dans leur capacité à se dégrader, mais dans leur capacité à réduire suffisamment la durée de la pêche fantôme pour justifier les coûts additionnels et les difficultés logistiques. Conjugués à des mesures de prévention de la perte de filets, à une meilleure traçabilité des équipements, et à une application stricte de réglementations internationales, les filets biodégradables pourraient contribuer significativement à la réduction de cette forme insidieuse de pollution marine.

Ressources de recherche